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Sudouest, mardi 20 mars 2001

ESPAGNE/ENVIRONNEMENT 
La bataille de l'eau 


JEAN FERNÁNDEZ à Madrid.
Mobilisation sans précédent en Espagne, pour s'opposer au projet pharaonique de déviation du cours de l'Ebre destiné à irriguer le Sud. Le sujet de l'eau est des plus sensibles pour Madrid 

La colère monte contre le plan hydrologique national (PHN), devenu le dossier le plus contesté en Espagne depuis l'arrivée au pouvoir du centriste José Maria Aznar en 1996. Jamais des mobilisations n'avaient rassemblé autant de monde contre un projet de l'exécutif du Parti populaire (PP). L'Aragon, pratiquement tout entier, la Catalogne, avec les nationalistes en 
tête, et l'opposition socialiste et communiste ont dit non au PHN, qui prévoit de transférer chaque année 1 050 hectomètres cubes d'eau de l'Ebre vers les régions sèches du Levant et du Sud-Est via un aqueduc de 900 kilomètres et soixante-dix barrages.

A titre d'exemple, de 120 000 à 400 000 manifestants, selon les sources, ont défilé dimanche dernier dans les rues de Madrid contre le plan. Ils étaient venus d'Aragon, mais aussi de la Rioja, de Navarre, de Catalogne et de Castille-Leon pour demander le retrait du PHN. Et cela parce qu'ils estiment qu'il portera atteinte à l'agriculture des régions arrosées par le fleuve le plus long du pays, ainsi qu'à l'environnement de son delta.

UN SUJET SENSIBLE
Le gouvernement de José Maria Aznar dispose certes d'une majorité absolue au Parlement. Mais il veut éviter de donner une image autoritaire sur un sujet hautement sensible en Espagne, comme celui de la distribution de l'eau, qui risquerait de diviser le pays en deux.C'est pour cela qu'il est disposé à apporter quelques «améliorations», ce qui ne veut pas dire céder, insiste-t-on dans les milieux officiels, qui ne cessent de souligner le caractère «historique» du projet gouvernemental. Pour la première frois, il apporte une solution définitive au problème de l'eau dans la Péninsule, se plaît-on à répéter au Parti Populaire. 

L'exécutif semble vouloir trouver un terrain d'entente, surtout avec les nationalistes modérés de Jordi Pujol, qui gouverne la Catalogne, la région la plus riche d'Espagne, où s'étale le delta de l'Ebre. Convergencia i Unio (CIU), la formation de Jordi Pujol, veut réduire drastiquement le volume d'eau qui sortirait directement de l'Ebre à destination des zones de Murcie et d'Almeria, entre autres.

En contrepartie, CIU est favorable à un transfert de quelque 350 hectomètres cubes d'eau du Rhône vers l'Espagne et au prélèvement de 400 à 500 hectomètres cubes des canaux d'irrigation utilisés depuis de longues années par les agriculteurs du delta de l'Ebre.

UN « LEURRE »
Madrid ne veut pas entendre parler du projet concernant le Rhône, car « ce serait renchérir l'eau de 57 % », selon le secrétaire d'Etat chargé des eaux et des côtes, Pascual Fernandez. En revanche, le gouvernement Aznar serait plus sensible à la deuxième proposition de CIU. Mais les négociations avec les nationalistes catalans s'annoncent difficiles, car ils se montrent pour le moment intransigeants quant à leurs revendications.

Pour les écologistes et les autorités aragonaises, le prélèvement d'eau des canaux d'irrigation ne résout en rien le problème. Cette solution n'est qu'un « leurre », a renchéri une haute responsable socialiste, Cristina Narbonna. Directement ou indirectement, ce sera toujours la même quantité d'eau qu'on déviera de l'Ebre, insiste-t- elle.

PROJETS ALTERNATIFS
Le ministre de l'environnement du gouvernement régional aragonais, Victor Longas, s'oppose à tout transfert d'eau de l'Ebre, parce que, selon lui, ce fleuve n'a pas une capacité suffisante pour cela. Il prône en revanche une utilisation rationnelle de l'eau, surtout dans les régions touristiques du littoral méditerranéen, et l'étude de projets alternatifs comme le dessalement d'eau de mer.

Et de menacer Madrid de porter plainte auprès de l'UE pour des aspects du PHN qui «vont à l'encontre des directives européennes», notamment en matière de protection de l'environnement. José Maria Aznar a répliqué en soutenant que l'Ebre a rejeté en mer quelque 6 000 hectomètres cubes entre octobre 2000 et février 2001. «Le plan prévoit de dévier 1 000 hectomètres cubes par an. Le fleuve a donc un débit suffisant, et l'Aragon ne sera pas privé d'une seule goutte d'eau (...). Il y a de l'eau pour tout le monde en Espagne. Le problème, c'est qu'elle est mal distribuée», a-t-il conclu.
Bref, un dialogue de sourds.

Asociación Río Aragón-COAGRET